Un collectif pour la lutte contre la criminalisation de la pauvreté et des sans-abri en Hongrie
« A Város Mindenkié » (« La ville est à tous » ; AVM) est un collectif politique basé à Budapest, Hongrie. Le collectif milite pour une société plus égale, pour le droit au logement, pour la prise en compte politique de la question du logement, et pour la dignité des personnes pauvres et sans domicile. Les modes d’intervention vont de la désobéissance civile aux propositions juridiques. La majorité des membres du groupe est concernée par des situations sévères de mal logement et d’errance, tandis que certains membres sont ce que le jargon du groupe appelle les « alliés » (disposant d’un logement et d’une condition sociale plutôt stable). Le travail en commun de ces militants aux expériences différentes est un pilier fondamental au mode de fonctionnement du collectif.
Dans les discours public et politique en Hongrie on ne parle ni de mal logement ni de crise du logement, mais uniquement du « sans-abrisme », des personnes qui sont contraintes de dormir dans la rue et qui « salissent l’espace public ». Les interventions politiques dans la sphère du logement sont extrêmement restreintes. AVM est donc très souvent amené à parler de la question du logement à travers celle de la rue, même si le collectif ne considère pas, en raison de la nature structurelle du problème, que la situation des personnes mal (ou non) logées puisse être traitée à ce niveau.
La criminalisation des personnes SDF
En Hongrie l’existence du phénomène des SDF n’est « reconnue » que depuis la transition politique et l’introduction de l’économie du marché en 1989-90. Cependant, les politiques visant à traiter le problème des personnes à la rue ont continué à donner la priorité aux réponses sécuritaires et hygiénistes plutôt qu’à la recherche de réponses sociales plus globales. Cette approche est devenue particulièrement caractéristique depuis les élections de 2010. Ces dernières ont porté au pouvoir le parti conservateur Fidesz au niveau national ainsi que dans la majorité écrasante des mairies, y compris celle de Budapest. Dès 2010, avec la concordance des couleurs politiques, des changements législatifs nationaux ainsi que locaux renforçaient l’approche punitive envers les personnes sans domicile. Les collectivités locales et la police se voyaient accorder plus de marge de manoeuvre pour pouvoir restreindre la présence des sans-abri dans l’espace public.
Le sommet de ce processus fut la nouvelle loi sur les infractions. Cette loi est entrée en vigueur le 15 avril 2012 et stipulait que l’utilisation de l’espace public en tant que demeure principale était une infraction. La récidive pouvait être punie par une amende pouvant atteindre 500 euros ou par l’emprisonnement. Cette loi absurde a été rejetée par la Cour constitutionnelle et finalement retirée fin 2012 (1). Mais par une manoeuvre antidémocratique, la majorité conservatrice du parlement a adopté, en mars 2013, un amendement à la loi fondamentale (la nouvelle constitution datant du début 2012) qui introduit une disposition allant dans le même sens que celle invalidée par la Cour constitutionnelle. Depuis, la possibilité de criminaliser l’absence de domicile est donc autorisée par la constitution hongroise, alors que ce pays ne dispose pas de politique du logement à proprement parler.
Une enquête participative sur la discrimination
En 2011-2012 une équipe d’AVM a conduit une recherche participative (2) sur la discrimination des personnes sans domicile exercée par des autorités. Lors de cette enquête, les militants d’AVM, ayant également vécu des périodes « à la rue », ont interviewé des personnes en errance ainsi que des représentants d’autorités diverses (police, services sociaux, pôle emploi, transports publics, etc.).
Les résultats de l’enquête peignent une image sombre : 75% des répondants ont vécu la discrimination à cause de leur condition de sans-abri ; 57% ont déjà été traités de manière humiliante par des représentants des institutions et des autorités. La discrimination prend des formes variées, de l’exclusion des transports publics au licenciement à cause de l’absence de domicile, en passant par le refus du traitement médical. L’enquête révèle également une pratique de profilage selon le statut social : les personnes qui paraissent pauvres ou sans domicile seront plus probablement contrôlées par la police. 59% des répondants ont été contrôlés au cours des 30 jours précédant l’enquête et un tiers de ces personnes a été contrôlé plus de 4 fois.
La rue et ses usagers
Les pratiques d’exclusion dans l’espace urbain sont propres aux politiques urbaines néolibérales partout dans le monde ; de ce point de vue la vague de criminalisation actuellement à l’oeuvre en Hongrie s’inscrit dans une tendance plus large. Ce qui y rend la situation plus difficile (comparativement à celle d’autres villes européennes), c’est que cette criminalisation est portée au plus haut niveau législatif et que le discours politique offensif est banalisé. La ville de Budapest se veut une ville de l’ordre, une ville « occidentale » ; une image qui se construit seulement pour une partie des habitants, au prix de l’exclusion des autres.
L’enjeu pour AVM est d’arriver à thématiser le problème des personnes à la rue en tant que problème social et économique, et d’obtenir des réponses au niveau des politiques du logement.
(1) Entre avril et novembre 2012, sous la vigueur de cette loi, plus que 2 000 procédures ont été lancées contre des personnes SDF, et une amende a été infligée pour presque 1500 cas (la somme totale des amendes s’élève à plus que 130 000 euros).
(2) Le principe de ce type de recherche est qu’elle est menée par des personnes directement concernées par le problème social qui fait l’objet de l’enquête.
Pour aller plus loin :
Le résumé du rapport final de l’enquête participative
Un article de Bastamag
Zsuzsanna Posfai,
membre du collectif „A Város Mindenkié” (La ville est à tous)
Eredeti megjelenés: Alter Echos